La pièce est lourde. La ville, autour d’elle, tend entre deux rives des câbles de lumière, et la nuit, toute entière, pose sur les quais une nuque froide et sans vie. Le silence se complait et s’étend, de proche en proche, de façade en façade, comme un écho monstrueux qui n’en finirait pas de détruire tout ce qui n’est pas lui. Toi, tu es là, et tu te répètes : « voilà tout ce qu’il me reste ». Il y a les murs de ta pièce qui sont arrachés par des raies de lumière et par le bruit écrasant d’une voiture qui passe. Les choses se mouvementent avec la lumière, les ombres délaissent le lieu et il ne te reste à la fin que l’angoisse et l’attente. Mais, tu sais que le jour est loin encore et qu’il te faut passer plusieurs heures là, posé contre ton mur, et qu’il te faut regarder, encore et encore, l’ensemble des objets tomber sous la lumière et se reconstruire autour de toi. Tu pourrais bien étouffer que cela ne changera pas la donne et qu’il te faudrait, malgré tout, à ton réveil, dans ton coma, dans ton cauchemar, soutenir le poids immense et souverain de ce que tu as perdu et de ce que tu ne retrouveras pas. Et la pièce est lourde. Elle est chargée de cette absence qui te tues et qui creuse au centre de ton ventre un trou, une béance, une faille dont il est impossible de faire le tour et dont tu t’échines pourtant à tracer la frontière. Tu tournes sur toi-même et tu espères obscurément qu’il arrivera un moment où le jour naissant te délivrera. Le jour ne vient pas. Le jour ne vient pas et tu es là, à écrire, sans arrêt, comme pour montrer au monde que tu sais encore suffoquer, tu es là à écrire : « voilà tout ce que j’ai perdu ». Mais, ces mots que tu traces fébrilement, eux-mêmes t’écrasent parce qu’ils témoignent encore plus clairement toute ta futilité et l’inanité de ta présence en ces lieux. Parce que personne ne t’attend ici et que tu n’es qu’une espèce de forme abjecte de vie au milieu de murs découpés en tranche par des lumières vives, parce que celle que tu cherches ne te cherche plus et qu’il ne te reste plus rien que l’espoir ridicule d’un calendrier, parce que ce qui te condamne à l’échec et aussi absurde que toi, pour toutes ces raisons tu es là, et tu écris : « voilà tout ce qu’il me reste, voilà tout ce que j’ai perdu ».
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